Des fourmis dans la bouche

Khadi Hane

Denoël

  • Conseillé par
    11 septembre 2012

    Khadîdja Cissé est malienne. Elle a cinq enfants, pas de mari, pas d’argent. Elle vit dans un misérable appartement du quartier de Château-Rouge dans le 18° arrondissement de Paris. Sa liaison avec Jacques Lenoir, un blanc, lui attire l’opprobre de la communauté africaine parisienne, mais aussi de celle qui est restée au pays. « Pour avoir couché avec lui, je méritais la pendaison. Parce que aussi j’avais décidé que le chemin ratissé par les ancêtres ne collait pas à ma soif de vivre, je m’étais affranchie des fables, j’avais choisi de sortir du ghetto, appris à lire et à écrire. » (p. 42 & 43) Jugée par les autres femmes, par sa famille, par ses enfants, par les anciens, Khadîdja est aussi soumise au jugement administratif assené par l’assistance sociale.


    Khadîdja est pauvre, mais elle vit en France. Cette position l’oblige à survenir aux besoins de la famille restée au pays. Alors elle envoie en Afrique l’argent qu’elle n’a pas, l’argent dont elle a désespérément besoin pour nourrir ses enfants. « La culpabilité d’être pauvre en France me bouffait le moral, le physique et le mental, elle me rendait la vie plus dure encore. En Europe, la fortune est censée être à portée de main, c’est du moins ce que l’on croit là-bas. » (p. 73) Mais puisque les prières sans cesse répétées à un Dieu trop occupé restent sans effet, que reste-t-il, si ce n’est le quotidien sans espoir ? Khadîdja n’est pas loin de se sentir punie, voire maudite. Et le ventre toujours plus vide que la veille, elle se souvient des raisons qui l’ont poussée à fuir le Mali et de celles qui pourraient l’y faire revenir. « Depuis hier, mes enfants et moi n’avons rien avalé. Nous avons des fourmis plein la bouche. » (p. 135)
    Il y a beaucoup d’amertume dans le récit de cette Malienne dont la double culture est à la fois une chance et un fardeau. En porte à faux entre France et Afrique, ni coupée de là-bas, ni intégrée ici, Khadîdja finit par être de nulle part. Le titre pose une sensation désagréable sur la langue et le roman tout entier fouaille l’estomac. L’auteure nous montre une France misérable composée d’immigrés qui ont emmené leurs traditions dans leurs maigres bagages. Khadi Hane déploie une plume sans pathos, parfois drôle parce que résonnant de l’humour des désespérés, souvent juste parce que sans concession, ni enjolivements. À lire avec humilité et tolérance.


  • Conseillé par
    16 septembre 2011

    Trop d'ennui

    Khadi Hane nous dresse le portrait d'un quartier, Château-Rouge, comme le fit Alain Manboukou dans Black Bazar. Odeurs et bruits se mêlent et rendent cette description très vivante. Elle y dresse aussi le portrait d'une femme rebelle contre les traditions de son pays (la virginité des jeunes filles données à des vieillards en échange d'un mariage qu'ils peuvent annuler), contre la société patriarchale et contre ce que lui offre la France. Difficile d'éprouver de la sympathie pour cette éternelle insatisfaite qui ne cesse de houspiller, voire de frapper ses enfants. Un élément me dérange dans cette histoire: j'ai peur que qu'elle ne donne du grain à moudre à ceux qui reprochent aux immigrés de vivre sur les allocations familiales car ici, non seulement Khadidja ne cherche pas de travail, mais en plus elle envoie tout l'argent de ses allocations à sa famille en Afrique, une famille qui sait la juger mais accepte quand-même de bonne grâce cet argent. Pour l'anecdote, j'ai appris dans ce roman qu'il est inconcevable pour un africain d'embrasser avec la langue. Malgré les qualités de ce roman, j'avoue m'être ennuyée.