Les lois de la frontière

Javier Cercas

Actes Sud

  • Conseillé par
    23 juin 2014

    Gerone, été 1978. Ignacio Cañas vient de vivre une année scolaire difficile, souffre-douleur de certains élèves de sa classe. Les congés scolaires sont une libération. Il évite la bande qui le maltraite en se réfugiant dans une salle de jeux. C'est là qu'il rencontre Zarco et Tere, deux voyous culottés qui vivent dans les quartiers populaires, de l'autre côté du fleuve. Subjugué par Tere qui le rebaptise Le Binoclard, il entre dans la bande à Zarco, devient le complice de leurs larcins, vols de voitures, cambriolages, braquages de banque, découvre l'alcool, la drogue, les prostituées. La fin de l'été sonne le glas de sa carrière de délinquant. Dénoncée, la bande tombe dans un guet-apens de la police. Le Binoclard s'en sort de justesse, retrouve le chemin du lycée et plus tard des études de droit. Pendant ce temps, Zarco est devenu l'icône de la jeunesse espagnole, bandit sans peur et sans reproches, il est Robin des bois, il est celui qui défie l'Etat, la police, le personnel pénitentiaire. Les braquages, la violence, la drogue n'entachent en rien sa légende. Avocat respecté, Ignacio a toujours suivi les ''exploits'' de son ancien ami et quand, bien des années plus tard, Tere vient lui demander d'obtenir la libération conditionnelle d'un Zarco vieillissant et repentant, il accepte sans trop se faire prier.

    Interviews fictives d'un écrivain préparant un livre à propos de Zarco et s'adressant à Cañas mais aussi au directeur de la prison de Gerone et au policier qui a arrêté la bande en 78, le récit de Javier Cercas commence dans l'Espagne post-franquiste, moment-clé dans l'histoire du pays qui entame sa marche vers la démocratie. Après des années de dictature, le processus est lent, les vieilles (et mauvaises) habitudes sont profondément ancrées dans les mentalités. La jeunesse, trop longtemps bridée, se cherche, teste les limites, joue avec le danger, franchit les frontières, entre le bien et le mal, entre les classes sociales, entre petite délinquance et grand banditisme. Dans cette nouvelle société qui se cherche des modèles, le personnage de Zarco apparaît comme un voyou au grand cœur, légende fondée sur rien, sinon les élucubrations journalistiques et les rumeurs populaires. C'est pour rétablir la vérité, ou tout du moins ses vérités, que Cañas accepte de participer à un livre sur Zarco. C'est aussi l'occasion pour lui de s'interroger sur son passé de délinquant, qui fut court mais marquant. Il analyse ses motivations, ses sentiments, ses rapports avec Zarco et Tere et aussi les choix, les chances, les rencontres qui ont décidé de son avenir. De cet été, il a gardé toute sa vie la trace et trente ans après il parle encore avec émotion de Tere et Zarco qui le fascinaient. Pourtant cette génération post-franquiste, sacrifiée, abandonnée, a connu plus d'échecs que de prestige, tombée sous les balles, terrassée par la drogue ou le sida. Pour l'avocat qui s'en est bien sorti, ce retour en arrière se fait dans la douleur et pour le lecteur, c'est l'occasion de découvrir une période de l'Histoire espagnole bien loin de l'euphorique et médiatique Movida.
    Un roman beau, triste et désenchanté, comme un air de flamenco.


  • Conseillé par
    6 avril 2014

    Contrairement à ce que mon résumé peut laisser penser, ce n'est pas un roman basé sur les dérives narcotiques des adolescents mais sur l'émoi amoureux et la complexité de ces émois d'adolescent dont notre avocat ne se remettra jamais vraiment. L'adolescent, comme l'adulte qu'il devient, ne comprend pas la teneur exacte de ce que Tere ressent pour lui. Personnage ambigu, Tere fascine alors que Zarco passe du statut de caïd à celui d'un homme qui a raté sa vie et qui peu à peu perd l'aura qu'il eût jadis. Ce roman permet aussi une réflexion sur l'alternative à la prison puisque sans l'humanité d'un policier, Ignacio aurait lui aussi dû suivre le chemin emprunté par Zarco. C'est la première fois que je lis cet auteur espagnol mais sans doute pas la dernière car cette histoire m'a paru intéressante et j'ai beaucoup aimé la façon dont il croque ses personnages, oscillant entre doute et ambiguïté. Les scènes d'humiliation entre adolescents m'ont semblé très réussies. On se lasse parfois un peu et je pense que c'est dû à la forme de ce roman qui se présente en entretiens : ceux de l'avocat avec un écrivain et ceux de cet écrivain avec un policier.