L'art de naviguer

Antonio de Guevara

Vagabonde

  • Conseillé par
    4 mai 2010

    Un vrai régal d'érudition et d'humour !

    Je m'excuse tout d'abord car mon avis sur le livre est assez long ...mais petit livre en nombre de pages.....grand livre par son écriture !

    J’ai choisi ce livre pour sortir un peu des romans que je lis en grande qualité et afin d’en découvrir davantage sur cet auteur de l’époque de Charles Quint.
    Ce livre aurait été écrit par Antonio de guevara, vraisemblablement car Francisco de Los cobos l’aurait consulté pour savoir s’il devait ou non suivre Charles Quint lors de ses périples en mer.
    Ce fut une magnifique découverte …tout d’abord parce que ce livre m’a beaucoup amusé ..pas dans le sens moquerie évidemment …mais beaucoup distrait car il est rempli d’humour .
    La préface de Pierre Senges , donne de suite le ton ; le livre, celui d’Antonio de Guevara, sera celui de l’érudition et de l’humour mêlés dans un texte énergique.


    Pierre Senges , en parle d’ailleurs fort bien , il écrit dans cette préface : « Un « arte de marear » farci de romances, d’euphismes, de noms antiques prétendument sauvés de l’oubli, en vérité tirés du chapeau (…) » « Il aurait pû écrire un Art d’aimer, suivi d’un Art de la guerre ; il a préféré cet Art de naviguer, réinventant tout depuis son lit, sous un édredon d’inspiration bourguignonne » et prévient le lecteur : « Méfie-toi parce que ce livre est séduisant, il égare en divertissant , il sème sur son chemin des friandises à ton usage (..) »

    Et en effet c’est un vrai régal que cet ouvrage !

    La traductrice, Catherine Vasseur , qui a du énormément travailler pour réaliser la traduction de cet ouvrage , réussi à nous faire découvrir cet « auteur » , et grâce à elle, son écriture –très innovante pour l’époque- nous semble contemporaine .

    Et quelle érudition tout au long de l’ouvrage, grâce à l’auteur mais aussi grâce au grand talent de la traductrice.
    On ressort de ce livre plus intelligent que lorsque on le débute ! ;-)
    On apprend par exemple , qu’il existait en Haute Egypte , un royaume dirigé par des reines.
    Qu’Archimède , très connu du grand public, s’est surtout distingué par l’invention de redoutables machines de guerre. Et à vous de découvrir les centaines d’évènements ou de noms cités dans l’ouvrage …et sans jamais se lasser !

    Cet auteur, Antonio de Guevara, evêque, prédicateur, chroniqueur et membre du conseil de sa majesté, fut fort critiqué en son temps et jusqu’aux années 1970 « Il prétend parler de l’océan : ce qu’il connaît de la houle tiendrait dans un verre d’eau » Pierre L’Arétin.
    En effet Antonio de Guevara ,est passé maître , tout au long du livre , en vérités-souvent précises et érudites- pour étayer certaines balivernes et broder comme il lui scied .

    Mais quel grand bonheur de lire certains passages. Certains sont fort en humour et remplis de sarcasmes.Un véritable humour décalé , un peu de cet humour noir que l’on pourrait aimer de nos jours !
    « tout le dommage causé dans les cours princières, vient de ce que les nations se suivent , que les gens se suivent, que les opinions se suivent ,-mais que la raison ne suit jamais » ..incroyable d’imaginer que cela date de 5 siècles en arrière, car c’est toujours contemporain de nos jours !! ;-)
    « La galère offre, à l’heure du repas, le privilège de dispenser chacun de réclamer l’eau claire , pure, fraîche, saine et savoureuse ; on s’y contentera au contraire, même à contrecoeur , de boire une eau trouble , épaisse, boueuse, chaude, fade, voire puante. Le capitaine autorisera toutefois les plus délicats à ses boucher les narines d’une main tout en portant le pot à la bouche de l’autre » .

    Son ouvrage s’apparente aussi au début de la philosophie..ou de clairvoyance sur l’Homme en général « A mon avis , c’est l’excès de cupidité et le défaut de bon sens qui ont inventé l’art de naviguer ; l’expérience montre en effet que pour les hommes paisibles et dénués de cupidité, aucune terre au monde , si misérable soit-elle,n’offre ce qui est nécessaire à la vie humaine .On voit en ceci combien l’homme est plus bestial que toutes les bêtes , car aucun animal n’irait fuir quoi que ce soit ,-si ce n’est la mort : seul l’homme s’en va naviguer aux dépens de sa vie »

    J’aurais pu écrire des centaines de passages du livre , qui est réellement brillant de la préface jusqu’aux notes de Catherine Vasseur.
    Celle ci rajoute à la fin de l’ouvrage que « L’art de naviguer » a confronté Guevara « à la menace d’un autre naufrage que celui dont l’expérience de la mer avait pu susciter la crainte : le naufrage de son écriture » ; les lecteurs contemporains , que nous sommes , doivent transmettre ce livre et ses bienfaits sur la terre ferme afin de lui redonner ses lettres de noblesse . Et montrer à tous qu’à travers cet « art de naviguer » se dessine les premiers schémas d’un mouvement romanesque ! Une révolution !
    Il ne faut pas passer à côté !