À la vitesse de la lumière

Javier Cercas

Le Livre de poche

  • Conseillé par
    18 août 2014

    Jamais je ne pensais avoir entre mes mains un livre qui parle entre autre, de la guerre du Vietnam, de la transformation qui s’est opérée chez certains soldats alors qu’ils combattaient et se prenaient pour Dieu en ayant cette possibilité de donner la mort, et surtout sur le sens et le pouvoir de littérature. Pourtant ce roman prenant et riche en émotions traite de ces thèmes par une écriture ô combien remarquable et par l’histoire de deux hommes.

    Le narrateur, un étudiant espagnol, a pour ambition de devenir écrivain. Par le plus grand des hasards, on lui propose un poste à l’université d’Urbana. Ainsi, il pourra enseigner sa langue et écrire. Et c’est dans le cadre de son travail qu’il rencontre Rodney Falk. Cet ancien combattant du Vietnam enseigne lui aussi l’espagnol. Peu bavard, Rodney Falk est solitaire, pourtant lui et le narrateur vont devenir amis. Mais Rodney disparaît sans prévenir son ami et sans avoir donné de raison à la faculté. Retourné en Espagne, le narrateur découvre la gloire liée à la publication de ses livres. Marié et père d’un enfant, il s’abandonne à une vie de vices. Il faudra un drame personnel pour qu’il cherche à voir de retour son ancien ami.

    Alors qu’il était pacifiste, Rodney Falk s’est engagé. Il a côtoyé l’abominable, il s’est vu devenir un homme qui tue sans éprouver de remords. Pire, il y a pris du plaisir. Revenu au pays, il n’a plus trouvé la paix ( "En apparence, Rodney était certes revenu du Vietnam, mais c'était en réalité comme s'il s'y trouvait encore, ou comme s'il avait ramené le Vietnam chez lui"). Le narrateur lui a perdu sa famille, sa dignité à cause de l’ivresse du succès ( "j'aurais au moins dû prévoir que personne n'est vacciné contre le succès et que c'est qu'au moment de l'affronter qu'on comprend que c'est non seulement un malentendu et la joyeuse insolence d'un jour, mais que ce malentendu et cette insolence sont humiliants; j'aurais aussi dû prévoir qu'il était impossible de survivre avec dignité au succès, parce qu'il détruit tel un ivrogne la demeure de l'âme et qu'il est si beau qu'on découvre, même si on se leurre avec des protestations d'orgueil et de démonstrations hygiéniques de cynisme, qu'en réalité on n'avait pas fait autre chose que de le chercher, de même qu'on découvre quand on l'a entre les mains et qu'il est trop tard pour le refuser, qu'il ne sert qu' à nous détruire et à détruire tout ce qui nous entoure. J'aurais dû le prévoir, mais je ne l'ai pas prévu. En conséquence , j'ai perdu tout respect pour la réalité; j'ai aussi perdu mon respect pour la littérature, la seule chose qui jusqu’alors avait donné un sens ou une illusion à la réalité."). Deux vies qui ont plus d’un point de jonction, deux hommes qui saignent moralement.
    En quête de rédemption, l’écriture qu’il a délaissée donnera au narrateur cette obligation morale d’écrire ce qui n’a pas été dit, ce qui ne se raconte pas.

    La construction même du livre à la façon d’un puzzle, où la trame serpente entre passé et présent est magnétique tout comme l’écriture de Javier Cercas. Et la littérature, la vie, la mort, et comment ou pourquoi naît l’écriture et son pouvoir à façonner ou à rendre au plus juste la réalité, la culpabilité jaillissent de ce roman et se plantent en plein cœur.
    Un livre tout simplement inoubliable…J’ai eu à de nombreuses reprises des poissons d’eau dans les yeux, le souffle coupé et j’ai relu des passages ou des pages entières tant ce livre m’a plus que remuée !


  • Conseillé par
    18 août 2012

    Un remarquable roman !

    «A présent, je vis un fausse vie, une vie apocryphe, clandestine et invisible, bien plus réelle que si elle était vraie, mais j’étais encore moi-même quand j’ai fait la connaissance de Rodney Falk.

    Il rêve de gloire à Barcelone. Il est jeune et plein d’espérances. Il veut devenir écrivain et savoure les sombres choses.

    Ce «il» pourrait être Javier Cercas, l’auteur lui-même.
    Ou peut-être pas.
    Javier Cercas nous prévient : «Ce que tout romancier veut - et ce depuis toujours : depuis le Quichotte, depuis le Lazarillo de Tormes, depuis Robinson Crusoé - c'est que sa fiction paraisse réelle : qu'elle soit, pour le lecteur, la réalité, en tout cas au moins le temps de sa lecture.»

    Il est nommé assistant dans une université américaine à Urbana dans l’Illinois. Là il rencontre Rodney Falk un vétéran du Vietnam.
    Ce Rodney, fervent lecteur d’Hemingway, amoureux de la littérature, est un personnage énigmatique, solitaire, marginal. Dans la marge. Il semble fatigué de vivre, ruiné par un passé douloureux gardé secret.

    Il finit par écrire un roman, revient en Espagne et connaît le succés.
    Rodney, pourtant, le met en garde : « Personne ne meurt pour avoir échoué, mais il est impossible de survivre dignement au succès. [...] De sorte que, si tu t'entêtes à devenir écrivain, tâche de différer le succès autant que tu peux. »
    Alors il va vivre un cauchemar. Il devient un homme malade, un homme méchant comme écrivait si bien Dostoïevski.
    Il sera le même fantôme que Rodney.
    Tous les deux vont s’enfermer au «sous-sol» de la vie.
    Et de près ou de loin unir leurs destins. A distance.

    Ecrire peut-il sauver la vie ? Ou la perdre ?

    «Alors que j’étais presque arrivé là où je voulais arriver, précisément parce que je n’avais jamais su où j’allais, j’ai été saisi de vertige car j’ignorais ce qu’il y avait de l’autre côté, quel miroir m’attendait au-delà de ces pages...»

    Lui et Rodney sont des survivants.
    Pour s’en sortir, il veut raconter l’histoire de Rodney.
    « Ecrire est la seule chose qui pouvait me permettre de regarder la réalité sans me détruire ou sans que celle-ci s'abatte sur moi comme une maison en flammes, la seule chose qui pouvait doter la réalité d'un sens ou d'une illusion de sens ».
    L’histoire terrible de Rodney. La mort de son frère Bob sur une mine au Vietnam.
    Le massacre de My Khe. Les crimes du commando Tiger Force.
    Les soldats de la Tiger Force ont assassiné, mutilé, torturé, sans aucun contrôle de l’armée.
    Rodney pouvait-il être un soldat de la Tiger Force ?

    C’est un très beau roman, très émouvant, sur l’écriture, la littérature, sur l’amitié, sur la vie qui ne tient qu’à un fil, sur les doutes et les peurs, sur les traumatismes de la guerre.
    Sur l’amour, toujours l’amour.
    Difficile de lâcher ce livre.
    On se voit le lire vite, vite pour vivre les pages...des larmes et des larmes au final.

    C’est un gros gros coup de coeur !
    Remarquable, émouvant, prenant !

    «Il y a deux tragédies dans la vie. L’une, de ne pas atteindre ce qu’on désire. L’autre, de l’avoir atteint.» Oscar Wilde.