Un si charmant village
EAN13
9791091513104
Éditeur
Ribamar Editions
Langue
français
Fiches UNIMARC
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Un si charmant village

Ribamar Editions

Livre numérique

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Extrait
Chapitre 1
C'est l'heure où les ombres semblent s'allonger au soleil couchant. Les cigales elles-mêmes terminent leur chant pour faire place au calme, comme pour respecter ce havre de paix qu'est la demeure de Fernand Camiset. Le vieil homme est assis sur un banc devant sa porte, sous un énorme platane plusieurs fois centenaire qui contraste avec les cyprès qui entourent la propriété. Le platane prodigue une ombre rafraîchissante. Autour de la maison, ce n'est que fleurs, arbustes et massifs de lauriers tout en fleur. L'un d'eux, près de la maison, dans une magnifique jarre, apporte une touche de lumière avec ses fleurs rouges, tranchant sur les murs ocres de la bâtisse. Celle-ci n'a qu'un étage, mais s'étend sur plusieurs bâtiments. Sur chaque fenêtre, des pots de géraniums ajoutent encore une note de lumière à cet ensemble que ne renierait pas un peintre. Fernand Camiset est appuyé sur sa canne. Sa jambe droite est raide, elle est posée sur un petit banc. Une chute de tracteur, il y a quelques années lui a laissé une jambe invalide. Il est vêtu d'une chemise à carreaux, d'un pantalon de toile bleue et d'un éternel gilet de velours noir, qu'il porte hiver comme été. C'est l'image même du patriarche.
À son retour de la guerre, il avait repris l'exploitation familiale. Le domaine est très important. Pas moins de 20 personnes à l'époque s'occupaient à l'entretien, au ramassage des fruits et légumes et à la vigne. Fernand avait amélioré encore le rendement et replanté des terres restées en jachère pendant la guerre. Tout cela ne lui avait pas laissé le temps de profiter de sa jeunesse comme il l'aurait souhaité. Beau garçon, des biens non négligeables, ce ne sont pas « les partis » comme on disait, qui manquaient dans la région. Mais sa mère lui répétait souvent de se méfier de ces « prétendantes » guidées par l'intérêt qu'il rencontrait le samedi dans les bals de village.
Lorette, fille d'un boulanger du village, travaillait pour la famille Camiset depuis un an. Joli brin de fille, courageuse, d'esprit vif, Fernand finit par tomber amoureux de cette « jeunesse » qu'il côtoyait tous les jours. Elle-même n'était pas indifférente au charme de Fernand. Un grand mariage eut lieu dans la propriété des Camiset. Tout le village fut invité.
À 88 ans, Fernand prend un repos bien mérité, sa casquette vissée en permanence sur la tête. On le taquine en lui demandant s'il ne couche pas avec. Il ne regarde rien, son regard bleu est perdu dans ses pensées, il songe à sa chère Lorette, morte il y a quinze ans d'un cancer. Il repense aux années de bonheur partagées, à ces nombreuses années où il était resté le maire estimé de son village.
Il en est là dans ses pensées, lorsqu'une camionnette pénètre dans la cour par le grand portail. Il a reconnu le véhicule. Son petit-fils, Vincent, descend de la voiture.
Fernand, qui a cessé toute activité, garde tout de même un œil sur l'exploitation, donnant quelques conseils à son fils pour diriger le domaine. Il s'en sort d'ailleurs fort bien. Mais, c'est son petit-fils, Vincent, qui occupe toutes ses pensées. Il y a une grande complicité entre eux. C'est un beau jeune homme de 24 ans qui a les yeux bleus de son grand-père. Bon sang ne saurait mentir. Depuis son retour du service militaire, un B.E.P. de comptabilité en poche, c'est lui qui gère la partie administrative du domaine, ce dont son père est très fier. Son grand-père l'avait incité à s'intéresser au village, à assister aux séances du conseil municipal. C'est ainsi que lors d'élections, il était devenu adjoint au maire, s'occupant plus spécialement des espaces verts et du stade.
— Ah ! Te voilà, je t'attendais.
— Bonjour grand-père. Vincent l'embrasse affectueusement.
— J'étais en train de lire...
Un livre ouvert et retourné est posé près de lui sur le banc.
Vincent s'est assis à ses côtés, il croise les bras sur sa poitrine, il ne dit rien, chacun respecte le silence de l'autre. Au bout d'un moment, Vincent se tourne vers son grand-père.
— On est vraiment bien ici, cela me rappelle lorsque j'étais petit, je venais jouer ici avec grand-mère Lorette.
— Un jour, ce seront peut-être tes enfants qui joueront ici... Mais, donne-moi des nouvelles du village
— Il s'est passé quelque chose de grave grand-père, on ne parle plus que de ça. Un enfant du « quartier des villas » est dans le coma. On ignore les causes. Ce serait dû, toujours selon la rumeur, à une maladie qu'il aurait contractée à cause du terrain.
Fernand pose sa main sur le bras de Vincent, il marque un temps.
— Tu sais petit, je vais te raconter quelque chose. Lorsque j'étais maire, il y avait à l'emplacement de ce nouveau quartier, qui est un peu en dehors du village, une usine de produits chimiques qui employait des villageois. Ils jetaient les déchets produits par l'usine sur les parties qui se trouvent près du ruisseau.
— On allait souvent jouer dans ce coin-là quand j'étais petit.
— Eh oui, malgré mes interdictions vous y alliez, vous ne pouviez comprendre ce que vous risquiez à proximité de ces déchets.
— Ils ne sont pas restés longtemps.
— Non, après il y a eu une usine de recyclage de matériel électrique et électronique. Ils démontaient les appareils usés et récupéraient les pièces encore valables, il paraît qu'on peut en tirer des métaux précieux... Je n'avais pas été très heureux de cette implantation, car ils n'avaient pas embauché des gens du village. On ne les voyait d'ailleurs jamais, les camions arrivaient avec leurs matériaux et repartaient. Mais le plus grave c'est qu'ils ont continué à déverser leurs rebuts là où l'usine de produits avait commencé, si bien que ce coin est devenu petit à petit une décharge où l'on ne se gênait pas pour venir jeter tout et n'importe quoi. C'est devenu la décharge municipale. J'ai écrit à la D.D.A.S.S., au préfet, bref... j'ai fait effectuer des constats, je suis allé voir le patron : toujours sans aucun effet. Il y a une justice, vois-tu petit. Un beau jour, tant pis pour eux et tant mieux pour nous, ils ont fait faillite et sont partis comme ça en laissant tout à l'abandon. J'ai profité de l'occasion et j'ai tout fait démolir et niveler au bulldozer. J'ai fait construire en dehors du village la déchèterie moderne que tu connais. Quant au terrain, il a été clos avec interdiction de pénétrer... Je ne pouvais imaginer que l'on construirait sur des déchets...
— Mais alors, le lotissement de 15 habitations qu'on appelle « le quartier des villas » ?
— Ça, mon petit, tant que j'étais maire, j'ai refusé toutes les demandes de permis et il y en a eu. Pourquoi le maire actuel a-t-il accordé les permis ? Sans doute, a-t-il fait faire une étude de terrain qui était favorable. Mais tu devrais le savoir, tu fais maintenant partie du conseil. — Il nous a présenté des arguments très positifs, alors bien sûr on a voté pour. C'était très bon pour la commune un tel projet. En attendant, il va sûrement y avoir une enquête... Bon, je me sauve grand-père.
— ... La petite Mireille, hein mon Vincent ?
— Comment sais-tu cela ? On ne peut rien te cacher.
— Un bon maire doit tout savoir, alors après vingt ans de mandat on garde des habitudes et des antennes... Et puis, tu crois que je ne t'entends pas, certains soirs, quand vous vous retrouvez dans le local où l'on reçoit les clients... C'est confortable, accueillant et surtout discret... Oh ! Tu sais, tu n'as rien inventé, j'en faisais autant à ton âge... Et au même endroit.
Ils rient tous les deux.
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