Une confession, roman
EAN13
9782234062542
ISBN
978-2-234-06254-2
Éditeur
Stock
Date de publication
Collection
La Bleue
Nombre de pages
208
Dimensions
21,5 x 13,5 cm
Poids
292 g
Langue
français
Code dewey
846
Fiches UNIMARC
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Une confession

roman

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La Bleue

Indisponible
La messe était belle. J'ai reconnu çà et là quelques personnalités, la plupart de vos confrères académiciens, bien sûr, des politiques, l'un de vos éditeurs aussi, celui à qui vous devez d'avoir rédigé peut-être le plus beau de vos livres, vos mémoires. Et pourtant, tout vous opposait, me disiez-vous. Il était votre contraire. Sans doute est-ce pour cette raison que lui seul a su vous conduire au fond de vous-même, lui votre envers, comme un miroir inversé qui vous a permis de tourner un moment le dos aux occupations présentes afin de remonter le temps.La cérémonie fut sobre. Pas de grands discours. Dans cette chapelle des Invalides chère à votre cœur, monseigneur Lustiger a retracé une à une les quinze stations de votre Chemin de Croix, celui que vous aviez peint dix-huit années plus tôt. Combien de fois m'aviez-vous incitée à aller le voir. Je l'ai vu aujourd'hui, pour la première fois, les yeux humides. Je ne regrette pas d'avoir attendu, je ne l'aurais pas regardé avec autant d'émotion si j'y étais allée avant.Après la messe, en présence de madame Bernadette Chirac, on vous rendit les honneurs dans la cour des Invalides. La pluie s'était affaiblie. Nous étions parqués entre des barrières de métal : la famille, peu nombreuse ; les académiciens ; les politiques ; et les autres, les anonymes. J'étais parmi les anonymes.J'échangeai quelques mots avec Gonzague que je n'avais pas revu depuis longtemps, saluai Bernard Billaud, visiblement très ému, et je m'éclipsai.

En quittant les Invalides, je hâtai le pas vers le métro. J'avais rendez-vous pour déjeuner du côté du pont de l'Alma, dans un restaurant italien. Je n'avais pas très faim, tout cela m'avait un peu remuée. Celui que j'allais retrouver n'aimait guère attendre, et j'étais en retard. J'étais dans un état étrange, cette cérémonie m'avait replongée des années en arrière, au temps de notre histoire. Je me rappelai notre première rencontre, puis ce cheminement que nous avions fait ensemble, notre lien qui s'était distendu depuis deux ans. J'étais triste soudain.Il était attablé un peu à l'écart dans un recoin sombre du restaurant. Je ne l'ai pas vu tout de suite. Cela m'a fait du bien de le trouver. Sa bouille rieuse, son allure de clown un peu las, mi-clochard mi-dandy, m'ont rendu mon sourire. Même si, alors qu'il me parlait, s'attachait à me faire rire, ma tête demeurait ailleurs. Je ne pensais qu'à vous.Je n'ai pas mangé grand-chose. Nous avons bu du vin, j'en avais besoin. Alors je me suis mise à lui parler de vous.

J'avais vingt-huit ans.Je n'avais rien lu de vous. Pas une ligne. Je savais à peine le propos de vos écrits.L'on disait que vous étiez « le plus grand philosophe chrétien vivant ». Vous étiez l'intime d'un pape, un proche du général de Gaulle ; vous receviez des confidences aussi bien de Jacques Chirac que de François Mitterrand ; vous entreteniez d'étroits liens d'amitié avec l'impératrice du Japon et le roi des Belges. Voilà, c'est à peu près tout ce que je sais de vous à l'époque.À Apostrophes, je vous avais regardé débattre avec maître Gisèle Halimi. L'œil malicieux, vous sembliez ravi de vous trouver aux prises avec cette femme brillante et jolie, assise tout près de vous et pourtant si loin de vous. Je vous écoutais, émerveillée.C'est ce soir-là, indomptable et bondissant sur votre fauteuil, à côté d'un Bernard Pivot désespéré – exaspéré ? – qui ne parvenait plus à vous faire taire, que vous m'avez séduite.

Vous souvenez-vous de ma première visite rue de Fleurus ?Je suis arrivée chez vous à neuf heures précises.J'eus à peine le temps de sonner que déjà vous m'ouvriez votre porte. Était-elle même fermée, je ne le sais pas. Lors des visites qui devaient suivre, elle serait toujours entrouverte. N'importe qui aurait pu entrer. On vous le disait, ce n'est pas sérieux, on ne sait jamais, à notre époque, vous savez. Vous vous en moquiez. Lorsqu'on venait vous chercher, vous attendiez derrière la porte entrebâillée, déjà revêtu de votre manteau gris foncé, votre écharpe rouge nouée autour du cou et votre feutre vissé sur le crâne : « Allons-y ! »
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